English version available here.
Corps, planète et intelligence. Altérités inhumaines dans l’expérience artistique.
Article - Azimuts n° 58 – Utilisation de l'intelligence artificielle en art et en design
--
Dans ce texte, je tire quelques fils à partir de ce qui se passe dans le projet d’installation L’économie des sols : un robot produit un film sans fin à partir de l'observation d'un paysage composée de formes plus ou moins distinctes faites de boues, d'huiles, de métaux, etc, à mi-chemin entre une friche et une machine.
J'ébauche comment ce travail de fiction, en considérant l'intelligence artificielle non plus comme un miroir de nos capacités mais comme une forme d'altérité, met en évidence la façon dont nous sommes constitués et liés à d'autres altérités, inhumaines, parce que nos existences en dépendent et qu’elles demeurent pourtant occultes, inaccessibles et indifférentes à nos volontés.
L'installation nous mène ainsi à considérer trois altérités.
1/ D’abord celle de nos corps à laquelle nous sommes conduits par la façon dont ce paysage suggère une autre histoire de la morphogenèse des machines, où ce n'est plus l'intention humaine qui façonne la matière mais l'activité de la Terre elle-même. Des œuvres d' I. Andriessen aux réflexions de D. Trigg, une continuité troublante se fait entre la matière minérale et celle de nos corps, dont l'origine alien commune nous fait observer l'activité à l'échelle des temps cosmiques.
2/ Ensuite celle de la planète. L'analyse des fictions sans narration ni témoin de G. Chatonsky nous aide à envisager comment l'observation machinique, impersonnelle et sans fin de la matière terrestre à l'œuvre dans l'installation excède nos capacités de perception et de raisonnement, nous faisant passer, selon les catégories de E. Thacker, d'une Terre familière à un astre indifférent.
3/ Enfin celle de la pensée qui dans ce monde ne semble plus avoir de nécessité et devient un phénomène matériel parmi d'autres. Avec certaines philosophies spéculatives nous sommes alors conduits à reconsidérer sa nature : elle devient l’expression d'un traumatisme originel causé par la séparation de l’organique et de l’inorganique et serait animée par le désir de ramener la vie à son origine inorganique.